Politique

La plainte et la grâce

Historien

La scène n’est pas inédite, mais elle se multiplie à l’ère des réseaux sociaux : on y voit le président de la République, ou l’un de ses ministres, répondre directement à des sollicitations souvent poignantes d’hommes et de femmes anonymes. La singularisation du récit, ou plus exactement de la plainte, a toujours joué un rôle politique essentiel, mais ces promesses d’intervention personnelles illustrent surtout la fatigue des rouages démocratiques.

Les images et les propos ont été relayés largement, par la presse écrite, les télévisions et les radios, mais plus encore par les réseaux sociaux. On aperçoit des responsables politiques de premier plan – le président, un ministre, une secrétaire d’État – répondre en direct et dans une forme très libre, presque familière, à des sollicitations souvent poignantes d’hommes et de femmes anonymes, qui font part de leur détresse, de leurs souffrances et de leurs peurs et qui s’adressent directement, comme en dernier recours, à la personne qui symbolise à leurs yeux le pouvoir et en tout cas le pouvoir de changer leur vie. D’elle, ces acteurs soudain et brièvement au centre de l’attention attendent en effet une intervention urgente, directe, efficace, qui court-circuiterait les règles administratives et les lenteurs bureaucratiques dans lesquelles ils se sentent englués et oubliés.

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Au Salon de l’Agriculture, en février 2019, un retraité handicapé en larmes fit ainsi part de sa détresse financière au président de la République qui le prit un instant dans ses bras et le rassura : « gardez le moral, vous avez le droit à plus que ce vous touchez (…) On va faire le maximum ». Quelques semaines plus tôt, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations avait elle aussi fait part de son émotion devant le sort d’une jeune femme, défenestrée par son ancien compagnon et restée tétraplégique, à laquelle le fond de garantie des victimes avait refusée une prise en charge complète. Dans la foulée, la secrétaire d’État s’était dite prête à « intervenir personnellement  dans ce dossier ».

On pourrait multiplier les exemples – le futur président interpellé par une femme surendettée (octobre 2016), le président sollicité par la victime d’un harcèlement scolaire (février 2019) – sans que les traits distinctifs de ces événements présentent de grande différences : on y observe toujours la combinaison très puissante de


Olivier Christin

Historien, Directeur d'études à l'EPHE et directeur du Centre européen d'études républicaines