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Sans cela, la recherche et l’enseignement supérieur s’arrêteront…

économiste

Ce jeudi 5 mars, l’Université et la Recherche s’arrêtent pour protester contre la future Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et, plus largement, contre la précarisation galopante du secteur, tous personnels confondus. Les jeunes universitaires, particulièrement mobilisés, sont aussi parmi les premiers concernés par la dégradation des conditions de l’emploi scientifique. Cette question épineuse se révèle centrale dans la crise que traverse la recherche française aujourd’hui, il importe donc de l’examiner en détail.

Demain aura lieu la journée « L’université et la recherche s’arrêtent ». Au cœur de la colère qui s’élève des amphis et des labos, la question de l’emploi scientifique occupe une place centrale. Cette question n’est bien sûr pas nouvelle. Elle fut l’un des principaux déclencheurs du grand mouvement qui, au début des années 2000, a conduit à une démission collective des directeurs de laboratoires et donné naissance à « Sauvons la recherche ».

Ce fut aussi l’une des quatre principales revendications du mouvement qui, en 2009, a opposé pendant des mois les universitaires et les chercheurs à Valérie Pécresse et qui a vu la question de la « précarité de l’emploi scientifique » prendre de l’ampleur. En 2014, elle a également suscité le mouvement « Sciences en marche », réclamant une fois encore des financements, un plan pluriannuel de l’emploi scientifique et la résorption de la précarité.

Si aujourd’hui les jeunes chercheurs et universitaires sont particulièrement mobilisés, réclamant une nouvelle fois plus de postes et moins de précarité, leurs revendications doivent être les nôtres. Et, ce, que nous soyons chercheurs, universitaires ou simples citoyens. En effet, cette question de l’emploi scientifique est déterminante pour notre avenir collectif.

Allons vite, inutile de refaire la longue liste des divers arguments qui démontrent le caractère clef du secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur, arguments repris en chœur par tous les gouvernements successifs pour affirmer qu’ils en font « une grande priorité », sans que jamais les « preuves d’amour » ne suivent les grandes déclarations.[1] Or, il ne peut y avoir de recherche et d’enseignement supérieur forts, sans résoudre d’abord cette question de l’emploi scientifique.

Les chercheurs et universitaires savent bien tout ce que peuvent apporter dans une équipe le regard neuf et les questions d’un jeune chercheur.

En effet, la recherche et l’enseignement supérieur ce sont avant tout les hommes et les femmes qui les font. Et si les modes d’organisation, si les lourdeurs administratives et les laisses trop serrées sur des considérations de court-terme, strictement économiques, si les entraves à l’indépendance de la recherche et aux libertés académiques, si l’incapacité à comprendre les spécificités disciplinaires, si les freins aux échanges et aux coopérations internationales, peuvent freiner le dynamisme de ce secteur, le nombre d’individus qui y travaillent, et les conditions statuaires dans lesquelles il le font, sont probablement, avec les financements, le principal moteur de ce dynamisme.

Si cette question de l’emploi scientifique est au cœur des revendications des chercheurs et des universitaires depuis désormais plusieurs décennies, c’est aussi parce qu’ils savent bien tout ce que peuvent apporter dans une équipe de recherche, le regard neuf et les questions d’un jeune chercheur, ingénieur ou technicien, qu’ils savent également la force qu’un jeune enseignant donne à une équipe pédagogique, par son énergie et sa proximité avec la génération qu’il doit former. Et qu’ils savent enfin qu’ils ne peuvent remplir correctement leurs missions quand les personnels administratifs et techniques font défaut.

En outre, s’ils sont aussi attachés au devenir professionnel des jeunes scientifiques qu’ils ont formés dans leurs laboratoires, c’est parce que le doctorat est, certes une première expérience professionnelle, désormais reconnue comme telle, mais également un diplôme qui vient valider la formation qu’ils ont donnée au doctorant tout au long du travail de thèse. Ces jeunes qu’ils ont formés, ils les ont côtoyés pendant plusieurs années ; la recherche et l’enseignement supérieur ce sont aussi des histoires d’hommes et de femmes.

Certes, dirons certains, mais la situation n’a pourtant ici rien d’inquiétant. Et de citer les chiffres de l’OCDE selon lesquels le nombre de chercheurs (en personnes physiques) n’a cessé de croître, puisqu’il passe de 251 600 en 2005, à 356 500 en 2012, puis à 383 800 en 2015, ce qui conduit la France à occuper la 6ème position des pays de l’OCDE. Certes, concèdent-ils, le nombre est deux fois moins grand que pour l’Allemagne et un tiers de celui du Japon ; et c’est sans compter la Chine qui en 2012 avait déjà plus de 2 millions de chercheurs, l’Inde qui grandit chaque année et la Russie qui reste une grande nation scientifique. Elle conserve cette sixième position des pays de l’OCDE, si l’on raisonne, comme c’est l’usage, en ETP (équivalent temps plein) avec alors 288 600 chercheurs en 2017, ce qui fait d’elle à nouveau la huitième puissance mondiale, mais avec ici aussi une croissance constante de 43% environ depuis 2005 et de 11,5% depuis 2012. Si elle ne tient pas tout à fait le rang qui est le sien comme puissance économique, elle progresse… disent-ils.

Les chercheurs du privé représentent désormais 60% du nombre de chercheurs total du pays.

Toutefois, pour mieux cerner l’effort qu’une nation fait dans le domaine de l’emploi scientifique, il faut alors regarder un autre indicateur, à savoir le nombre de chercheurs (ETP) pour 1000 emplois. Ici encore on peut observer une croissance quasi constante depuis le début du siècle : on passe en effet de 7,7 en 2005 à 9,5 en 2012 et 10,3 en 2017. La France est certes nettement au-dessus de la moyenne de l’OCDE (8,3 en 2016), au-dessus de la moyenne de l’EU (28) (8,3 en 2016), mais elle n’occupe plus toutefois que la 11ème place. Et elle garde cette position quand on s’intéresse au personnel total de R&D (en ETP) pour 1000 emplois (même si ce nombre augmente ici aussi puisqu’il passe de 13,3 en 2005, à 15,1 en 2012 et 15,6 en 2017). Ici, la France ne tient pas son rang.

En outre, l’essentiel de cet effort de croissance est le fait, non de l’État, mais correspond en réalité à un rattrapage qu’a connu la France concernant le nombre de chercheurs du privé. En effet, ces derniers (en ETP) sont désormais 173 900 en 2017, contre 106 800 en 2005, soit une augmentation de 62%. Cette croissance qui nous permet d’être aujourd’hui ici à la 6ème position des pays de l’OCDE, explique ainsi près des trois quarts de la croissance du nombre total des chercheurs (publics et privés)[2]. Les chercheurs du privé représentent désormais 60% du nombre de chercheurs total du pays, ce qui nous place encore un peu en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, mais correspond à une véritable rupture avec la situation qui prévalait en 2005 où, là, le nombre était de 52,8% en France contre 59,3% pour la moyenne des pays de l’OCDE.

Si l’on regarde les chercheurs de l’État (en ETP), on constate alors une situation nettement différente ; certes de 2005 à 2012, leur nombre passe de 25 900 à 27 400, mais il n’a depuis que faiblement progressé (de +0,3%) pour atteindre 28 500 en 2017. Afin de mieux cerner les évolutions de l’emploi scientifique dans le secteur public, étant données la complexité et la spécificité de ce dernier[3], quittons un instant les comparatifs internationaux pour nous pencher sur les données du ministère. On constate alors que sur la période 2006-2015, les effectifs de chercheurs du secteur public (en ETP)[4] ont cru de 97 000 à 111 800, soit une croissance de 15%.

Mais le diable se cachant dans les détails, poursuivons. Si l’on se penche plus particulièrement sur l’enseignement supérieur (où l’on trouve, dans les universités, l’essentiel des effectifs des chercheurs du public – les enseignants-chercheurs, notamment les maîtres de conférence et les Professeurs et qui représentent en ETP la moitié des personnels de recherche public[5]), les effectifs de l’ensemble des personnels (enseignants et autres personnels, dits BIATSS) n’augmentent plus alors que de 1% entre 2012 et 2017 passant de 197 700 à 199 700. Cette quasi absence de croissance touche aussi bien les personnels enseignants-chercheurs et enseignants, que tous les autres. Pour les seuls personnels titulaires, s’ils ont légèrement augmenté depuis 2012 (+2,3%), cela concerne essentiellement les personnels non enseignants (+4,6% pour les BIATSS), et seulement +0,3% pour les enseignants, chiffre qui est même encore plus faible si l’on enlève la filière hospitalo-universitaire)[6].

Certaines disciplines voient leurs effectifs baisser, notamment la physique et certaines disciplines de Lettres-Sciences Humaines et Sociales.

Pour les organismes de recherche, les plus importants d’en eux, les EPST (dont notamment le CNRS) regroupent 56 700 personnes (tous statuts et contrats confondus) en 2018. Mais là l’évolution est même pire, puisque ce nombre baisse depuis 2010, même s’il s’est stabilisé depuis 2016 (-6,3% sur 2010-2016). Les EPIC qui en 2018 emploient 23 500 personnes en R&D ont vu leurs effectifs demeurer quasiment stables depuis 2010 (+0,3%). Seuls, les instituts Pasteur-Paris et Curie (les deux principales ISBL) connaissent un emploi de R&D en forte hausse (+30% depuis 2010), mais pour un effectif très faible (3000 chercheurs, soit 4% de l’ensemble des chercheurs du public). Ces évolutions globales ne touchent toutefois pas toutes les disciplines de manière uniforme, mais certaines voient leurs effectifs baisser (notamment la physique et certaines disciplines de Lettres-Sciences Humaines et Sociales).

Toutefois afin de réellement saisir la profondeur de la crise qui traverse les laboratoires et les universités, nous ne pouvons nous contenter de raisonner en « stock » mais il faut étudier les « flux » et notamment prendre en compte les « flux entrants », c’est-à-dire les perspectives d’embauche pour les jeunes scientifiques. Lorsque ces dernières sont mauvaises, les effets se font sentir sur le très long terme.

Comme le disait l’ancien président du CNRS en 2014 : « Une année sans recrutement n’est pas concevable. L’enseignement supérieur et la recherche française ont connu cette situation à la fin des années 1970. Les effets ont été désastreux et se sont propagés pendant 40 ans avec des conséquences délétères sur le renouvellement des thématiques de recherche, son organisation, les directions des laboratoires, l’attractivité des métiers de la recherche et les carrières, etc. » Or, c’est très précisément ce que nous faisons depuis maintenant presque une décennie ; c’est l’une, sinon la, conséquence la plus préoccupante du sous-financement dont souffrent la recherche et l’enseignement supérieur français depuis deux décennies au moins, joint aux campagnes de recrutements désastreuses des années 1970 et aux évolutions démographiques dictant le nombre de départs à la retraite. [7]

Nous avons en effet assisté à des baisses sidérantes de 35% entre 2008 et 2016 des recrutements de maîtres de conférences. Et si l’on regarde même plus précisément les postes de maîtres de conférences pourvus par concours (et non par mutation, c’est-à-dire dans ce dernier cas des individus déjà en poste), leur nombre s’effondre de 1984 en 2006 à 978 en 2018, soit une baisse de 50% ! Et ce, alors même qu’en parallèle, rappelons-le, on a assisté à une augmentation considérable des effectifs étudiants inscrits à l’université qui sont passés de 1,421 millions en 2005, à 1,615 en 2018. Les cinq dernières années, l’enseignement supérieur a accueilli 219 800 étudiants supplémentaires et cela concerne toutes les formations à l’exception des classes préparatoires aux grandes écoles (-1,6 %) !

On observe un recul très marqué de l’âge moyen du recrutement qui s’établit aujourd’hui à 33,5 ans, en général après une série de CDD.

Dans les organismes de recherche la situation est semblable : sur l’ensemble des recrutements des organismes la baisse est de 34% entre 2008 et 2016 ; soit une baisse de 27% pour les chargés de recherche sur la même période (564 en 2008, 414 en 2016) et une baisse encore plus sévère (-44%) pour les autres personnels (les ITA, notamment les techniciens et les ingénieurs).

Une telle évolution s’est traduite par plusieurs conséquences, qui sont à l’origine de la colère que l’on observe aujourd’hui. Tout d’abord, on a logiquement assisté à la multiplication des emplois qualifiés de « précaires ». La chute des emplois ouverts et l’instauration de nouvelles modalités de financement[8] se sont en effet traduites par la multiplication des emplois « précaires », c’est-à-dire des chercheurs exerçant des fonctions permanentes sur des contrats à durée déterminée. On estimait à 30 000 leur nombre en 2014.[9]

Au sein des universités, la situation est plus complexe ; si les 19 000 enseignants non permanents (hors enseignants vacataires) des établissements publics de l’enseignement supérieur représentent 23% de l’ensemble des personnels enseignants, leur nombre baisse régulièrement depuis 2009 et se stabilise depuis deux ans. Mais cette baisse n’est paradoxalement pas une bonne nouvelle, dans la mesure où elle s’explique principalement par la baisse des doctorants‐contractuels qui représentent ici la catégorie la plus importante (voir infra). En outre, pour que le tableau soit complet, il faudrait également tenir compte des enseignants vacataires qui sont venus en masse pallier le manque d’enseignants titulaires dans les formations et en particulier dans les premiers cycles universitaires.

La seconde conséquence est que l’on observe un recul très marqué de l’âge moyen du recrutement qui s’établit aujourd’hui à 33,5 ans, en général après donc une série de CDD (pour des gens qui, en plus du doctorat, Bac +8, ont en réalité souvent déjà fait l’objet d’une première présélection avec le processus de qualification) : 33 ans pour les chargés de recherche (CR) (à l’INSERM il est même de 34,7 ans), 34 ans pour les maîtres de conférences (MCF), 37 ans pour les ingénieurs de recherche des EPST. Et cette situation se dégrade[10] et est pire pour les jeunes femmes qui par exemple réussissent le concours de MCF en externe 9 mois plus tard que les hommes !

Mécaniquement, le nombre de candidats par poste offert aux différents concours explose. Ainsi à l’INSERM, par exemple, est-il passé de 5 à plus de 20 entre 2002 et 2014 par poste offert ; sur les recrutements de maîtres de conférences à l’université, le nombre de candidat par poste est de 35 et le taux de réussite est aujourd’hui de 13%.

Ajoutons quatre éléments pour noircir encore un peu ce tableau déjà bien sombre. Premièrement, l’évolution des rémunérations en début de carrière s’est effondrée par rapport au SMIC (un maître de conférences gagnait ainsi 3 fois le SMIC en 1995, quand aujourd’hui le rapport n’est plus que de 1,7 et sur l’ensemble de la carrière les niveaux de salaires correspondent, selon un rapport de la Cour des comptes de 2011, à une rémunération totale inférieure de plus de 21 000 euros par rapport à des postes équivalents de catégorie A+ de la fonction publique).

Deuxièmement, le doctorat, en grande part en raison du rôle joué par les grandes écoles dans l’enseignement supérieur français, n’a absolument pas, auprès des entreprises françaises, la reconnaissance qu’il a partout ailleurs dans le monde. Cela s’explique aussi par le fait que la recherche industrielle privée, notamment dans les grands groupes, a un effort de recherche insuffisant et ce, en dépit des 6,5 milliards d’aides de CIR, mais également parce que, dans les centres de recherche privés, seulement 15 % des chercheurs ont une thèse et qu’en dehors des activités de recherche, les entreprises n’ont pas encore compris les compétences qu’offre la formation par la recherche.

Troisièmement, le doctorat n’ouvre pas, pour les mêmes raisons, les mêmes perspectives, dans la haute administration publique que dans la plupart des autres pays européens.

Quatrièmement, le taux de chômage des docteurs est nettement plus élevé en France que dans les autres pays de l’OCDE (10% en 2009).[11] Vous comprenez alors qu’il y a alerte rouge sur l’attractivité de la recherche française.

Dans les pistes de financement annoncées, rien ne semble permettre d’espérer une éclaircie sur le front de l’emploi scientifique et de la création de postes.

Comment dès lors s’étonner de la diminution très marquée du nombre de doctorants ? Aujourd’hui le problème n’est même plus celui de la fuite des cerveaux à l’étranger qui avait été dénoncée au début des années 2000 ; actuellement, les jeunes hésitent tout simplement à s’engager dans un doctorat. Entre 2000 et 2011, le nombre de doctorants a ainsi diminué de 15% et alors que 16 800 étudiants se sont inscrits en doctorat pour la première fois à la rentrée 2016, ce chiffre est inférieur de 15 % par rapport à ce qu’il était à la rentrée 2009. Cette baisse qui touche tous les domaines scientifiques (sauf la biologie, la médecine et la santé) reflète surtout la chute des taux de poursuite en doctorat des étudiants en 2e année de master (4,5 % en 2016-2017, contre 7 % en 2008-2009 et 11% en 2006), alors même que les effectifs des étudiants de M2 augmentent fortement sur la même période (+ 27 % entre 2007-2008 et 2015-2016).

Cette baisse intervient alors même que le nombre de docteurs formés en France est nettement inférieur à celui par exemple que l’on trouve en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Elle est en outre minorée par le nombre croissant des doctorants de nationalité étrangère qui représentent aujourd’hui 40% de l’ensemble des docteurs, ce qui au passage témoigne de l’attractivité de la recherche française, même si cette dernière a été fortement fragilisée par la politique d’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires, qui, comme prévue ici, s’est traduite ici par une dégradation de la situation.

Il est donc urgent d’agir ! Il n’est que temps de lancer un grand plan pour l’emploi scientifique, dans les universités et dans les organismes de recherches. La Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), annoncée dès février 2019, aurait pu être l’occasion de le faire. Pourtant, dans les pistes de financement annoncées, rien ne semble permettre d’espérer une éclaircie sur le front de l’emploi scientifique et de la création de postes. En effet, sans un engagement financier majeur auprès des universités et des organismes de recherche, aucune amélioration n’est à attendre. Le quinquennat précédent en avait fait l’amère démonstration avec une annonce de 1000 postes par an mais qui n’avait jamais pu se réaliser, faute d’amélioration de la situation financière des établissements.

Cette loi LPPR risque même au contraire de venir aggraver la situation puisqu’elle devrait être l’occasion d’une nouvelle remise en cause des statuts des chercheurs et des universitaires, avec la création annoncée de deux nouvelles modalités de recrutement dérogatoires au statut actuel de la fonction publique : les contrats à durée indéterminée (CDI) « de projet » et les contrats de « tenure track » (« titularisation conditionnée »). Autant de renforcements de la précarité, autant d’atteintes nouvelles à un statut qui pourtant garantit des principes essentiels à la fois pour les libertés publiques et pour l’efficacité de la recherche et de l’enseignement supérieur : l’indépendance des chercheurs et des universitaires à l’égard de toute pression politique et économique.

Il faut doubler en dix ans le nombre d’allocations de recherche pour les doctorants en accordant des bonifications aux universités qui augmenteront leur nombre et en augmentant le nombre de bourses CIFRE effectuées en lien avec une entreprise. Il faut lancer un plan de résorption de la précarité en créant notamment un contingent de postes spéciaux qui pourraient provenir de transferts de crédits de fonctionnement des établissements payant des précaires qui occupent un emploi permanent et de crédits de l’ANR. Il faut améliorer encore les conditions matérielles et de travail des doctorants et leur représentation dans les instances universitaires et des organismes de recherche.

Il faut également revaloriser le doctorat en améliorant l’embauche des docteurs dans le privé ; cela passe notamment, par une prise en compte du doctorat dans les conventions collectives, mais également par la conditionnalité du CIR pour les entreprises de grande taille, à l’embauche de docteurs (alors qu’actuellement le dispositif est simplement incitatif). Enfin, comment peut-on aujourd’hui imaginer un projet pour la formation de la haute fonction publique, sans faire du recrutement des docteurs au plus haut niveau dans les écoles d’administration ainsi que dans les grands corps de l’État une priorité ?

Sans tout cela, nous continuerons à sacrifier l’avenir ! Et la recherche et l’enseignement supérieur s’arrêteront…

 


[1]Voir https://aoc.media/opinion/2019/02/19/amour-preuves-damour-recherche/ et https://aoc.media/opinion/2019/06/11/universite-sombre-bilan/

[2]Ils représentent 67 100 ETP supplémentaires sur les 86 600 au total.

[3]Liée notamment à la dualité entre universités et organismes de recherches et à la diversité de ces derniers qui comptent les EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique), CNRS, IFSTTAR, INED, INRIA, INSERM, IRD, IRSTEA), les EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial) et les ISBL (institutions sans but lucratif) ; cela génère une très grande diversité de statuts particuliers (voir note infra).

[4] Pour les Maîtres de conférences (MDC), les chargés de recherche (CR), les Professeurs d’Université (PR), les Directeurs de recherche (DR) et assimilés, mais aussi les docteurs financés et les ingénieurs de recherche.

[5]Ils sont en effet « enseignants-chercheurs » et ne consacrent donc qu’une partie de leur temps à la recherche.

[6] Pour les enseignants, la filière hospitalo-universitaire a en effet sur cette période connu une augmentation de 4,3%, alors que la filière universitaire, la plus importante, reste quasiment stable (+0,2%).

[7]Comme nous le soulignions dans les deux textes consacrés aux perspectives financières de la recherche et de l’université : https://aoc.media/opinion/2019/02/19/amour-preuves-damour-recherche/ et https://aoc.media/opinion/2019/06/11/universite-sombre-bilan/

[8] Notamment par les appels à projets ANR, les appels à projets des Investissements d’Avenir et des financements européens, voire régionaux.

[9] Le Conseil scientifique de l’Inserm a estimé notamment que le nombre de précaires de l’INSERM est ainsi passé de 497 en 2005 à 2113 en 2013 et qu’ils représentaient en 2014, 41,8% des personnels de l’organisme.

[10] Il est de 32,8 ans en moyenne en 2016 pour les CR2 des 5 principaux organismes de recherche, contre encore 31,2 ans en 2006 ; de même, 34,3 ans pour les MCF en 2016, contre encore 32,7 ans en 2007.

[11] Le taux d’emploi des docteurs en France est comparable à ceux observés aux États-Unis, en Espagne ou au Royaume-Uni, mais légèrement inférieur aux moyennes OCDE et de l’UE à 22. Si de manière générale, l’avantage conféré par le diplôme dans l’insertion professionnelle est très fort en France (nettement supérieur à la moyenne OCDE et même à l’UE), il l’est moins pour le doctorat : « le taux d’emploi des docteurs âgés de 25 à 64 ans en France est ainsi de 90 %, soit seulement 2,0 points de plus que les diplômés d’un master ou équivalent, contre + 4,4 points pour l’ensemble de l’UE, +4,0 pour OCDE. »

Isabelle This Saint-Jean

économiste, Professeure à l'université Sorbonne Paris-Nord

Notes

[1]Voir https://aoc.media/opinion/2019/02/19/amour-preuves-damour-recherche/ et https://aoc.media/opinion/2019/06/11/universite-sombre-bilan/

[2]Ils représentent 67 100 ETP supplémentaires sur les 86 600 au total.

[3]Liée notamment à la dualité entre universités et organismes de recherches et à la diversité de ces derniers qui comptent les EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique), CNRS, IFSTTAR, INED, INRIA, INSERM, IRD, IRSTEA), les EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial) et les ISBL (institutions sans but lucratif) ; cela génère une très grande diversité de statuts particuliers (voir note infra).

[4] Pour les Maîtres de conférences (MDC), les chargés de recherche (CR), les Professeurs d’Université (PR), les Directeurs de recherche (DR) et assimilés, mais aussi les docteurs financés et les ingénieurs de recherche.

[5]Ils sont en effet « enseignants-chercheurs » et ne consacrent donc qu’une partie de leur temps à la recherche.

[6] Pour les enseignants, la filière hospitalo-universitaire a en effet sur cette période connu une augmentation de 4,3%, alors que la filière universitaire, la plus importante, reste quasiment stable (+0,2%).

[7]Comme nous le soulignions dans les deux textes consacrés aux perspectives financières de la recherche et de l’université : https://aoc.media/opinion/2019/02/19/amour-preuves-damour-recherche/ et https://aoc.media/opinion/2019/06/11/universite-sombre-bilan/

[8] Notamment par les appels à projets ANR, les appels à projets des Investissements d’Avenir et des financements européens, voire régionaux.

[9] Le Conseil scientifique de l’Inserm a estimé notamment que le nombre de précaires de l’INSERM est ainsi passé de 497 en 2005 à 2113 en 2013 et qu’ils représentaient en 2014, 41,8% des personnels de l’organisme.

[10] Il est de 32,8 ans en moyenne en 2016 pour les CR2 des 5 principaux organismes de recherche, contre encore 31,2 ans en 2006 ; de même, 34,3 ans pour les MCF en 2016, contre encore 32,7 ans en 2007.

[11] Le taux d’emploi des docteurs en France est comparable à ceux observés aux États-Unis, en Espagne ou au Royaume-Uni, mais légèrement inférieur aux moyennes OCDE et de l’UE à 22. Si de manière générale, l’avantage conféré par le diplôme dans l’insertion professionnelle est très fort en France (nettement supérieur à la moyenne OCDE et même à l’UE), il l’est moins pour le doctorat : « le taux d’emploi des docteurs âgés de 25 à 64 ans en France est ainsi de 90 %, soit seulement 2,0 points de plus que les diplômés d’un master ou équivalent, contre + 4,4 points pour l’ensemble de l’UE, +4,0 pour OCDE. »