Société

Professer le faux : il faut brûler l’histoire coloniale – sur le postcolonial (2/3)

Historien, Historien

Alors que les postcolonial studies ont fait il y a quelques mois l’objet de violentes attaques dans certains medias – attaques reprises par des responsables politiques plus récemment –, Nicolas Bancel et Pascal Blanchard poursuivent la réponse qu’ils avaient initiée dans un premier article d’AOC en révélant au grand jour les inexactitudes, délibérées ou non, qui trament l’argumentaire de leurs adversaires.

Ce qui est en débat, ici, face à la tribune « Les bonimenteurs du postcolonial business en quête de respectabilité académique » publiée dans L’Express, signée par Laurent Bouvet, Pierre-André Taguieff et d’autres, c’est le jeu constant entre le vrai et le faux que pratiquent les six auteurs pour dénigrer les études postcoloniales, leur dénier toute légitimité scientifique et les amalgamer à l’engagement militant des « décoloniaux ». En gros, pour prétendre qu’il ne faut surtout pas regarder en face le passé colonial et pronostiquer que ce passé est dangereux pour cette « jeunesse » issue des immigrations de l’ex-empire.

publicité

Pour avoir raison sur le fond, on manipule la forme, on mélange les sujets et on attaque les personnes, dans la pure tradition du maccarthysme. Les attaques personnelles contre des chercheurs, sans tenir compte des effets sur leurs vies privée et professionnelle, d’une violence indigne ? Aucune importance à leurs yeux, l’important c’est de dénigrer ceux qui veulent regarder autrement le passé colonial et accompagner la République dans ce travail de construction d’un récit commun. L’utilisation de faux et de textes polémiques comme des preuves ? Qu’importe.

En fin de compte, se pose une série de questions face à de telles méthodes. A-t-on le droit de falsifier la vérité pour défendre ses idées ? A-t-on le droit de s’attaquer à une personne, à son travail, à son parcours, à sa carrière pour le décrédibiliser et en fin de compte le marginaliser socialement, intellectuellement et universitairement ? Cette violence est-elle acceptable au nom du débat d’idée ? Elle ne l’est pas pour nous, sans doute parce que nous n’avons jamais, en trente ans d’engagements scientifiques, vu de telles attaques envers des universitaires. Mais cette méthode semble opportune aux signataires.

Habituellement, ceux qui sont visés décident de se taire, pétrifiés par de telles attaques, espérant pieusement qu’elles s’éteindront d’elles-mêmes. Notre choix est différent.


[1] Seule bonne nouvelle : le bandeau en couverture de L’Express est associé avec un dossier spécial sur Albert Camus.

[2] Par exemple « Le projet critique des postcolonial studies entre hier et demain », dans Marie-Claude Smouts, La situation postcoloniale, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 2007. Voir aussi Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, PUF, « Que sais-je ? », 2019.

[3] Hommes & Migrations, n°1207, mai-juin 1997 : « Imaginaire colonial, figures de l’immigré ».

[4] Pour rappel, ce champ de recherche est présent chez l’éditeur de manière active, comme le souligne la publication récente, en janvier 2020, du livre de Souleymane Bachir Diagne, Bergson postcolonial.

[5] Voir sur ce débat la tribune de Dominic Thomas et Alain Mabanckou, « Pourquoi a-t-on si peur des études postcoloniales en France ? », L’Express, 16 janvier 2020. Une tribune dans laquelle ils critiquent les auteurs de la tribune de Pierre-André Taguieff et ses amis.

[6] Gilles Clavreul, « Radiographie de la mouvance décoloniale : entre influence culturelle et tentations politiques », Fondation Jean-Jaurès, 22 décembre 2017.

[7] Comme cette tribune signée par une « militante féministe et antiraciste ».

[8] « L’ouvrage dirigé par cinq chercheur.e.s blancs se saisit d’une question qui ne les concerne pas… » écrit Marie-Anne Paveau.

[9] Voir l’article de The Conversation, l’article de Libération ou encore l’émission de France Culture.

[10] Voir l’article sur le site De l’autre côté ou l’article sur le site Orient XXI.

[11] Voir par exemple la tribune de Christine Taubira dans Le Monde, l’article de Catherine Coquery-Vidrovitch dans The Conversation ou l’article dans la revue Jeune Afrique.

[12] Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, « La Fracture coloniale : retour sur une réaction », Mouvements, 2007/3, n° 51.

[13] The Colonial Legacy in France: Fracture, Rupture, and Apartheid, chez Indiana University Press, en 2017.

[14] Elle a d’ailleurs publié en 2015, en co-direction avec Roma

Nicolas Bancel

Historien, Professeur ordinaire à l'Université de Lausanne

Pascal Blanchard

Historien, Chercheur associé au CRHIM (UNIL)

Notes

[1] Seule bonne nouvelle : le bandeau en couverture de L’Express est associé avec un dossier spécial sur Albert Camus.

[2] Par exemple « Le projet critique des postcolonial studies entre hier et demain », dans Marie-Claude Smouts, La situation postcoloniale, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 2007. Voir aussi Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, PUF, « Que sais-je ? », 2019.

[3] Hommes & Migrations, n°1207, mai-juin 1997 : « Imaginaire colonial, figures de l’immigré ».

[4] Pour rappel, ce champ de recherche est présent chez l’éditeur de manière active, comme le souligne la publication récente, en janvier 2020, du livre de Souleymane Bachir Diagne, Bergson postcolonial.

[5] Voir sur ce débat la tribune de Dominic Thomas et Alain Mabanckou, « Pourquoi a-t-on si peur des études postcoloniales en France ? », L’Express, 16 janvier 2020. Une tribune dans laquelle ils critiquent les auteurs de la tribune de Pierre-André Taguieff et ses amis.

[6] Gilles Clavreul, « Radiographie de la mouvance décoloniale : entre influence culturelle et tentations politiques », Fondation Jean-Jaurès, 22 décembre 2017.

[7] Comme cette tribune signée par une « militante féministe et antiraciste ».

[8] « L’ouvrage dirigé par cinq chercheur.e.s blancs se saisit d’une question qui ne les concerne pas… » écrit Marie-Anne Paveau.

[9] Voir l’article de The Conversation, l’article de Libération ou encore l’émission de France Culture.

[10] Voir l’article sur le site De l’autre côté ou l’article sur le site Orient XXI.

[11] Voir par exemple la tribune de Christine Taubira dans Le Monde, l’article de Catherine Coquery-Vidrovitch dans The Conversation ou l’article dans la revue Jeune Afrique.

[12] Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, « La Fracture coloniale : retour sur une réaction », Mouvements, 2007/3, n° 51.

[13] The Colonial Legacy in France: Fracture, Rupture, and Apartheid, chez Indiana University Press, en 2017.

[14] Elle a d’ailleurs publié en 2015, en co-direction avec Roma